Un rêve

26 janvier 2016 Comments Off

Avenue Lloyd George, neuf degrés,



L'année deux mille quinze s'est achevée dans le brouillard. Le retour en France pour quelques jours de retour aux sources, retrouver la ligne de métro A direction Vaux-en-Velin, la Soie. On ne l'a pas beaucoup pris ce maudit métro, trop heureux d'essayer ma nouvelle Audi noire qui détonnait un peu dans l'allée des barres rue Francis de Pressensé, soixante-neuf cent Villeurbanne. Papa tourne autour de la voiture comme si c'était son cadeau de Noel, je voudrai bien te l'offrir tu sais. Je voudrais bien te donner tout ce que tu n'as jamais eu, je voudrais bien te rendre, papa, tout ce que j'ai réussi à avoir. Quelques semaines plus tard je serai un soir dans un bar avec Xavier, et je me souviendrai de son regard quand il a dit : toi tu vois, tu es le pur produit de la République. Si tu savais comme j'étais fière, papa, parce que c'est vrai. Toi, et moi, purs produit de cette République qui nous a tant donné, à toi un emploi que tu n'as pas lâché pendant des décennies. Des années à te lever à cinq heure, des années à enchainer les trois-huit, les nuits, les impôts à payer, les factures, les comptes à tenir. Tu me disais déjà que la vie était dure, que bosser ce n'était jamais facile. Que gagner son pain c'était à la sueur de son front, et que les crédits c'était mal. Les flemmards c'était mal. Le rêve, la contemplation, les espoirs, c'était quand même seulement pour les artistes, et ceux qui peuvent se le permettre. Je m'insurgeais à table parce que je voulais que tu aies tort. Et je sais que tu as tort parfois, parce que rêver c'est tout simplement vivre ailleurs que dans le présent, et que pour avancer il n'y a que ça. Toi aussi tu rêves avoue-le parfois. 

Tu rêvais que ta fille ai une vie meilleure, qu'elle soit aimée, je ne sais pas trop à quoi tu rêves pour toi, si tu te permets encore de rêver. Souvent je me dis que tu as trop peur du futur pour espérer, trop peur de vieillir, trop peur de mourir, que tu ne rêves plus que du passé. Alors, on est allés à Lyon, c'était Noël et on était plus heureux qu'on ne l'aurait jamais rêvé: tous les quatre sur la table ronde au milieu des meubles en merisier, du vieux chat Sacré de Birmanie qui gronde, du saumon fumé et de la dinde aux champignons. C'est tout bête la vie, ça passe vite et les plaisirs sont simples. Quand je te tenais tête avant dans la cuisine, je croyais que le bonheur résidait dans l'intensité, que les moments heureux seraient quand j'aurais changé de vie à l'autre bout du monde, quand j'exercerai un métier fabuleux. Je n'avais pas compris que le bonheur serait surtout dans le retour, dans vos bras, dans ce petit nid où petite perdrix miniature j'ai mis du temps à m'envoler. Dans nos rires, dans nos regards.

Je rêve toujours, tu vois. Je rêve que ce temps là ne s'arrête pas.


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