Papa

17 mai 2014 Comments Off

Je n'ai pas vu les jasmins fleuris de votre jardin, tu n'auras pas non plus vu mes lilas violets dont les fleurs parsemaient la terrasse et embaumaient le salon. Tu n'auras pas vu le doux soleil de ce beau matin. Tu n'auras pas vu cette année qui a filé sur mon visage, tu le reconnaîtras toujours mais ce changement là tu ne l'auras pas vu, et tu ne verras pas les changements suivants, les rides qui apparaitrons, subrepticement, lentement ma vie défiler, la tienne. Tu vieilliras encore, je murirai aussi. Fruit de chair, chair qui meurt, doucement, doucement comme les fleurs. Je regretterai toujours d'être partie. Je comprends aujourd'hui que toi tu regretteras toujours aussi d'avoir quitté les champs de blé, le soleil sur les maisons, le blanc et le bleu, le port. Ton petit corps maigre qui attendait le bateau, mon petit corps maigre qui attendait le train. 

Nous nous quittons nous-même, avec beaucoup d'espoir. Cette famille que tu as fondé au delà de la mer, c'est bien ça notre sauvetage. Aimer encore, aimer toujours, aimer à nouveau. C'est bien ça la beauté de la vie, donner de l'amour. Tu m'as appris qu'il n'y a aucune autre origine que celle de ceux qui nous aiment, il n'y aucun abri que celui, immense et invisible, que tu as construit autour de moi. Cet abri je le porte en moi. Où que nous soyons, au fond de l'oued dans les petites grottes secrètes, sous le soleil vibrant de Kairouan, sur le bitume mouillé du parking du Lidl de Villeurbanne, sur l'île du lac du Parc de la tête d'or, dans les plates prairies verdoyantes du Brabant flamand, dans la chambre jaune, verte, dans la chambre à fleurs, dans n'importe quelle chambre, où que nous soyons je te porte en moi. 

Il fait si beau à Wezembek-oppem. Je voudrais tant parfois que tu sois avec moi pour me voir évoluer. Pour me voir peindre, blanchir, poncer. Pour me voir façonner mon bout de pierre. Je voudrais que tu me dises encore combien tu es si fier de moi.

Depuis combien de temps marcherons nous encore,
je ne sais pas. Je prie. Je prie très fort, Papa. 

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