Archive for février 2014

Etre, avoir été

28 février 2014 Comments Off

La nuit est presque tombée. Bruxelles est déjà dans le soir. Il est seize heures moins quart, mais c'est comme si la journée se terminait prématurément dans un fond de ciel noir. L'hiver a repris ses droits, la tempête arrive. J'aime sentir venir l'orage, regarder les nuages s’agglomérer comme des soldats, le vent qui se lève,

une bataille approche.

C'est toujours la Terre qui gagne, mais jusque quand, on ne sait pas. Peut-être qu'ici aussi un jour un typhon nous terrassera tous sur son passage. Petits morceaux de bois mort, petits playmobils de chair et de sang, petites verrues sur la surface onctueuse de la planète, multitude de virus suçant, grouillants, épuisant les gisements, abattant les forêts, coulant les glaciers, exterminant les autres êtres vivants.Nos siècles ne sont que destruction organisée et méthodique de notre habitat pour étrangement vivre plus longtemps. Il n'y a a posteriori plus grand chose à rattraper, l'univers se fera sans nous comme il l'a déjà tant fait. Nous portons en nous quelque chose que les autres générations n'avaient pas : la culpabilité. Nous portons en nous la défaite. Nous avons déjà perdu mais nous avançons quand même, l'incroyable et insensé espoir de transformer le monde s'est évanoui depuis longtemps. Depuis la chute du Mur, depuis le 11 septembre, depuis je ne sais pas quand. 

Moi je ne l'ai pas senti tout de suite, mais un hiver bizarre a repris ses droits. Et il est là soudain avec son plein de moisissures, d'air surchauffé et sec, de coup de gel, de peaux rougies et de souffle coupé. Le monde est poussiéreux, à la lisière de quelque chose, mais quoi, difficile à dire. Les bourgeons des arbres me le rappellent : ça ne va pas durer longtemps, cette météo d'épidémies. Bientôt on sortira les chaises de fer forgé achetées à Sluis pour capter quelques rayons de soleil vert. Et il y a aura ce renouveau que l'on espère encore perpétuel.

Je m'embourbe dans les embouteillages, on dirait que chaque vendredi tous les belges partent à la mer, Bruxelles se vide des fonctionnaires européens, les technocrates américains délaissent lentement les bâtiments de l'OTAN pour se replier mollement dans leur quatre façades près de la rue Kennedy, non loin de Tervueren. Et sur la E40 les Audi bourdonnent comme des abeilles, va et vient de noir, vitres teintées, plaques corps diplomatique, rouge et vert.

Dans cet hiver qui se termine, à peine effleuré, je ne pense plus j'écris, et je te crie dessus. A toi la nouvelle terre qui me façonne, inconnue. Inconnue la nouvelle personne que je suis et qui pourtant parfois m'abandonne. Ces jours, et surement ma vie entière, sont une bataille sans fin entre celle que j'étais, celle que souhaitais être, celle que j'espère devenir.

Ce que j'espère que nous sommes.

Alors je rassemble toutes les histoires d'amour que j'ai vécu, je ne sais pas j'y repense, je regarde vos visages, vos souffrances, ce que vous m'avez montré, ce que vous êtes, ce que je croyais que vous étiez. Je vous regarde avec bienveillance. Vous m'avez rendue douce, patiente. Vos défauts, votre humanité, m'ont rendue indulgente. 

Je ne sais pas ce que je suis. Je dois me concentrer. 
Regarder mon visage et tout ce qui a changé, regarder de très près.


12 février 2014 Comments Off

Je m'invite à la nuit. Je pars.
Comme j'en rêvé de ce moment où je m'irai, sans même dire au revoir.
Me fondre dans le brut dans fin de l'autoroute, me délier comme un grand muscle, me déplier comme un feuille.
On s'était arrêté dans une station Texaco, le trente et un décembre, ou le 1er janvier. Il y n'avait pas d'odeur de nouvelle ère, c'était la simple odeur de liberté.
Sans attache. J'étais perdue, mais j'étais aussi heureuse.
Ce soir je pars, je m'invite à la nuit, j'en vais retrouver ce souvenir là.

Une nuit à Paleochora

8 février 2014 Comments Off

Février, nuit noire sans sensualité.
Les nuages sont restés bas toute la journée, la lumière était blafarde comme un néon d’hôpital. Le carillon de l'église Saint Pierre a l'air de ne sonner que des morts, je vois passer quelques camions crématorium. La nature aussi est sous terre, nous aussi d'ailleurs, les foules sont enterrées dans les métros, les voitures s'encastrent dans les tunnels, vaste voie lactée, nous rentrons tous à l'intérieur de nous, c'est une mise en bière généralisée. On s'essaie à l'hiver, plein d'amertume et de morosité.

Je tombe sur une photographie prise en Crète. C'est une photo de toi, toi que je vois cinq matins sur sept, mais que je ne connais pas. Je t'embrasse, te soutiens, tu me fais rire, tu sèches mes larmes comme une mère, tu me serres dans tes bras, tu me fait un câlin. C'est une sororité magique. Je te fixe sur cette photographie en Crète, inconnue, libre, mystérieuse. C'est un diner dans le soir chaud et moite, ta peau est tannée par la langueur du soleil. Ton sourire est énigmatique et le ciel est bleu même la nuit. C'est le mois d'août, il a l'air brûlant, et je ne t'avais encore jamais vue vêtue en blanc.

Ce soir de février tu sais les nuages sont si bas, la lumière si blafarde. Je ressens cette douleur sourde de sentir en un instant l'absence glaçante du ciel caché sous les nuages. Il n'y a plus d'immensité. Et cette mer est si loin. Et je te vois chaque matin enroulée dans une laine, t’arque-bouter à ton bureau sans entrain. La Crète est loin, je sais. J'ai alors une nostalgie si puissante de l'été, de l'autre coté de la cloison vitrée. Moi aussi je me meurs devant l'ordinatueur, moi aussi je m'échoue. Je n'ai pas de courage mais je veux sentir. Alors cette photographie de toi m'obsède puis me submerge. La tête au fond de l'eau, je veux sentir, tu sais. Je veux sentir le sel, je veux sentir l'orage, je veux entendre se rassembler les nuages en haut de la montagne. Je veux que ça gronde, que ça s'amasse, que ça menace. Je veux la pluie qui s'abat d'un seul coup sur bras à faire vibrer mes os, et puis que le brutal grand soleil nous terrasse. Être terrassée par ces beaux jours, être vivante.  Comme toi dans ta robe de lin blanc assise sur le bord de mer à Paleochora. Toi qui est alors tout autre sur la photographie. Je repense à nos cœurs à qui ne demandent qu'à palpiter, notre peau qu'a frémir, nos corps qu'à grimper, marcher, se tendre, courir, se redresser. Nos yeux simplement voir sans lire. Et je te regarde penchée sur tes papiers, et je nous trouve si tristes.

Un jour peut-être irons-nous à Paleochora ensemble, enfin nous découvrir.