Adieu et à demain

17 juillet 2012 Comments Off



Ma main se renouvelle au fin fond de la sienne.

J'ai attendu longtemps que le bonheur revienne.
Il attendait sur le seuil de ma chambre, il me regardait trier ma vie, c'est lent et douloureux, ça m'ennuie, elle me plante un couteau dans le dos, je ne le sais pas encore. Moi j'attends et j'espère, je me ridiculise, je découvre tout trop tard. J'ai attendu longtemps que le bonheur revienne. Et puis l'on oublie vite ceux qui nous ont trahi, et on ne se souvient que de la trahison. 

Nous gravitons dans des soirs froids et gris. L'été dans le pays du nord, c'est un automne incertain où l'on attend de faire ses valises pour la douceur du Portugal ou bien de l'Italie. Il pleut sans discontinuer mais l'on prend tout de même l'apéritif au pool house. Le long de la piscine à débordement, me voilà autrement. Un châle sur les épaules, un plan de table et un border collie léchant mes bouts de pieds. La bonne société belge devisant en soirée, habitant Uccle, Boitsfort, Woluwé. Cette maison est devenue chez moi, j'ai enfin une voiture, je m'élance sur le ring, la petite ceinture. Je ne veux plus qu'on m'emmène, je pars. J'ai envie de lui faire découvrir qui je suis, cette façon qu'il a de me chercher comme ça, cette façon de vouloir me connaître. Cette fierté qu'il semble avoir à m'aimer. Ce que je lis dans ces yeux, ce bonheur d'être et de partager.  

Des sons me reviennent. C'est une autre vie, celle de la Tunisie. C'est Mounira qui me dit les lèvres étirées dans un sourire : saha saha. Après le bain, l'eau purificatrice a lavé l'odeur des moutons, des champs, de l'étable, des doigts sales ramenant cailloux, petits fossiles, lavande, mues de serpents, fleurs de l'oued. C'est l'eau qui lave mon autre nationalité. La République française, la laïcité, Charles de Gaulle, les colons qui photographient les petites arabes seins nus sous le protectorat français. C'est l'eau qui lave mon demi-sang, cet en-moi hagard. Je suis aussi nue que ces petites filles sous la menace, bronzée et sans langage. C'est dans la pénombre du salon oriental où dort mon grand-père qu'on se lave. Mon grand-père me laisse sa chambre blanche et son lit à presque baldaquin dès que je viens, parce que je viens de loin. Je pose mes affaires sur la table de chevet antique, là où trône la Mecque, les chapelets, les ancêtres, les tapisseries de cerfs, les scènes de chasse à travers le désert tous chevaux hurlants. Après le bain on se sèche devant les télénovelas et les feuilletons égyptiens. Tu es le premier amour que j'aimerai emmener là bas.

Personne ne s'imagine continuer sa vie à manger des asperges et des rotis mintsauce quand on passe ses étés entre des paysans berbères et des femmes voilées. Pourtant je me retrouve partagée sous ce jardin de plantes amères entre de multiples personnalités. Bruxelles, ce n'est pas exotique, Lyon non plus mais regarde. Nous vivions en face du HLM d'où pendent les serviettes et les draps, et tous les enfants chahutent en bas. Ils sont arabes ou portugais, ils n'ont jamais fait du ski, du cheval, de la voile. Moi non plus, nous étions à la même école, celle du vélo dans la rue et des samedis au square. L'été c'était surtout  les longues heures à la piscine municipale. Et les hivers en bas sur le bitume on enchâssait la neige sous l'unique saule pleureur.

Entre deux gros ciments les étoiles, mon cœur. 


What's this?

You are currently reading Adieu et à demain at Vie secrète.

meta

Comments are closed.