Coeurs engins

1 juillet 2011 Comments Off


Rester dans la même ville, dans une chaleur suintante. J'avais toujours rêvé d'être touriste ici mais il y a comme un avant goût d'août à Lyon, et beaucoup d'amertume dans mon vin blanc, de phrases telles que : je pourrais peut-être partir. L'ombre de tous les possibles est longue à venir. Jusque là c'est le plein soleil, la traversée d'un désert de bitume, poussières en gare, nuits tombantes en banlieue, feuilles d'automne sur le quartier. Les rayons sont harassants, le va-et-vient des bolides sur le cours Lafayette bruyant. J'espérais autre chose, sauf quand tu me prenais jusqu'au fond de tes yeux à partir de la gorge.

Dans ton fond c'est la mer, le bruit de la fontaine. C'est l'instant où il n'y a plus rien à souhaiter.

Nous avons fait les statues emmêlées des heures en pleine nuit sur le bord de l'allégorie de Bartholdi. Elle a pris spontanément la direction de la maison avant de se rappeler qu'elle n'existait plus. La maison est partout et nul part à la fois. Mon abri c'est mon corps en roseau plié contre le vent qui avance Place des Terreaux. Mon abri c'est la contemplation passive du monde à travers une fenêtre ou sur un pont, quand tout file à pleine vitesse, quand le train passe, quand les gens se traversent. Puis mon abri c'est toi, ton infini paisible.

Au fond d'un taxi, rejoindre une chambre réservée près des Halles Paul Bocuse. Les façades hautes et haussmanniennes défilent, il est trois heures du matin. Après tout, on aurait pu rester sur les pentes à la belle étoile, ou dans ce petit restaurant aux lampions à diner sur une péniche pour la première fois de ma vie. Perdre du temps avec toi pour les autres, tous ces autres qui ne m’intéressent pas. Je voulais juste un peu de partage, échanger quelque chose. Autre chose. J'ai fini par vider mon amertume sur un unijambiste à la sortie de la gare. Il y a cette soif étrange de parler à quelqu'un dans certains regards d'inconnus. Je finis par plus souvent parler aux étrangers qu'aux familiers.

Au final je suis déjà partie, que ce soit maintenant ou dans quelques mois, je me suis déjà en allée de là. Sortie de l'aliénation quotidienne et de mon cercle intime, ma forme n'est qu'anonyme.

La solitude rapproche, m'a dit l'unijambiste à la station Part Dieu. Nous nous sommes assis dans le métro. J'apprenais que Lyon est la capitale des prothèses articulées, que tout ça, les accidents comme les week-end ratés pour certains c'est mektoub. Mais là j'ai du mal à entendre: ma chaussure est cassée, ma carte bleue aussi,  mon kébab est volé, puis elle repart dans sa coquille de métal bleu métallisé. Reste quelques ganglions douloureux près des oreilles et dans la gorge. Je poursuis maladroitement le train, un pied à demi-nu, j'ai presque espoir qu'il revienne. Qu'il s'excuse de dérober sous mes yeux ce que j'ai de plus précieux.

Reste le bruit de la sirène en tête quand les portes se clipsent. Tel  un cœur-engin, plus le train s'en va plus il déplie cette corde rouge en moi, la pelote de chair. Au final ça tire et ça fait mal au kilomètre près, dès que  sans moteur et pleine d'un vide avide, je reste sur le quais.

What's this?

You are currently reading Coeurs engins at Vie secrète.

meta

Comments are closed.