1976

15 juin 2011 Comments Off

Au fond de ma coquille de métal gris Alsthom 1976, je me souviens d'un soir d'hiver au milieu de la Guillotière, les pieds sur la chaussée au milieu d'une rue, on s'embrassait comme si le vent qui soufflait allait nous emporter de part et d'autre du ciel. A Grenoble, les amoureux roulent sur des petits chemins abrupts aux virages mortels pour finir en haut de la Chartreuse en pleine nuit, de là on voit la vallée de l'Isère illuminée jusqu'aux stations, petits lampions de chalets grimpants. Nous fumons et buvons des cocktails brésiliens en écoutant les rires des voisins qui mangent au restaurant panoramique, moi et quelques inconnus. Les gens sont collés deux par deux est-ce que c'est normal. Est-ce que c'est normal que moi je te regrette toujours quand les paysages sont si simplement beaux.

Dans le campus fantôme de Saint-Martin, les élèves ont déserté pour faire l'amour dans l'herbe et trainer dans les cafés. Il reste quelques femmes de ménages et des peintres essayant d'effacer quelques tags grotesques dans les amphithéâtres en ruine. J'erre comme je voguais mollement dans le vieux quartier nantais il y a quelques jours, le long des remparts du château de la Duchesse Anne. Et dans cette maison le long de l'Erdre où j'avais presque pris naturellement mes quartiers. Mais la vie semble être cette série de passages et de contemplation où rien ne se fixe jamais, où pour l'instant il faut attendre. Embouteillage sans fin de jours, d'horaires, je ne sais plus où se trouve le départ ni ou est le retour. 

Aujourd'hui au revoir le havre de paix de Lyon 6ème, qui n'était plus qu'un point d'eau ponctuel ces derniers moments. Reste un léger pincement, un dernier regard sur la petite cuisine bar, le parquet du salon. Fermer la porte sur les plus doux instants.

Coquille grise, Alsthom 76, et mes nouveaux amis. Une belge athlétique qui dors à poings fermés en souriant, et puis il y a Nabil qui me fait travailler l'anglais dans le jardin de ville à Grenoble, un café pris avec Hicham quand on était tous les deux perdus à Saint-Pierre-des-Corps, une bière avec François avant son train pour la Suisse à presque minuit dans Paris, quelques canadiennes qui viennent visiter La Baule quand moi je pleure sur mon verre d'eau. Cet inconnu un soir qui m'a donné cinq euros pour m'acheter un sandwich à Massy TGV, ces sourires, fugaces liens entre quelques rails. De retour au fond de l'anonyme lit d'un hôtel, d'un canapé, d'une chambre à nouveau remplie de mes affaires sans que je me sente ni chez moi ni en voyage, que reste-il. 

Il reste un message de Nabil pour savoir comment s'est passé l'anglais. Dehors, le soleil est haut, l'été arrive comme une échéance, une fin de ligne. Je lui ai dit tu sais cette année était terne, les plus beaux jours c'étaient ces échappées belles, et c'est triste de vivre par des photos et des instants volés. Je veux m'en aller, maintenant, s'il te plait. L'été arrive, elle, elle s'en va encore plus loin. Est-ce que je dois partir aussi ailleurs pour ne pas attendre à ce qu'on me fasse une place. Peut-être qu'il n'y a pas de porte à ouvrir, il n'y a pas de chez-nous, il n'y a que ces billets de trains entre nous, ces images d'océan, jolis jours. Sous l'abat-jour de mon Alsthom 1976 sans prises de courant, je pleure et on dirait qu'il pleut là sur Bourgoin-Jallieu.

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