Archive for mars 2009

Your end is near

29 mars 2009 Comments Off


Nous nous sommes déliées brutalement dans le creux de la nuit, et je n'aurais jamais cru possible ne plus rien désirer si vite.

Peut-être qu'il ne faut rien écrire du tout. Sinon les souvenirs les plus noirs _ les plus dérisoires_, sont les seuls dont je me souviendrai bientôt. Bientôt il fera chaud et doux dehors, mais quel temps fera-t-il en moi? Aujourd'hui, de mes os à mon cœur, c'est froid. Le collant chair frotte mes plaies, et tant qu'elles s'irritent je me souviens de ces étranges picotements qui m'accompagnaient, petits fantômes acerbes, de mois en mois, dans tous mes corps du plus maigre au plus gras. Petites croix aux couteau, petits pense-bêtes sauvages, me portent dans le métro ça brûle, c'est comme si j'avais oublié le chemin jusqu'à ma banlieue belle. A force de prises de consciences soudaines, j'ai le sentiment de me défigurer chaque semaine: d'abord mon nez saigne sur le cotés, et quand j'arrive au 278 bis, il est déjà cassé. Mais tu m'ouvres tes bras quand même, et quand il y a ton odeur je m'en veux jusqu'à la mort de t'avoir détestée sous ton toit.

Tu me fais une dorade grillée, un café, ça sent l'Italie et les oignons frits dans ce monde suspendu à mes lèvres. Tu te souviens quand je pleurais dans la cuisine parce qu'elle m'avait quittée? J'ai pris quelque années, des cernes et perdu en naïveté. Tu crois qu'à force de prendre des coups dans la vie on fini par se protéger? Tu crois que grandir, c'est savoir lever le poing, dire non,et partir? Je fini toujours par pleurer dans une cuisine, puis j'aimerais une maison. Tu ris comme si j'avais fait un souhait stupide mais j'aimerais une maison, un rempart, un creux où je puisse me sentir chez moi. Depuis que j'ai quitté la chambre verte, j'ai perdu les clefs de tous mes greniers toutes mes caves et tous mes entresols. Il reste ce rez-de-chaussé d'accueil un peu impersonnel et ce premier étage branlant qui menace de s'écrouler à chaque coup de vent. Puis tu me dis, cette maison est la tienne, et quand on sera morts, on sera toujours là, partout.

Souvent je pense au jour où vous serez enterrés, et où il ne me restera plus rien sur cette terre qu'un bout de banlieue triste et un pays asséché. Il n'y aura plus personne pour veiller sur moi, plus rien pour qui compter qu'une famille acerbe auquel je n'ai jamais parlé, et des sororités fantômatiques. Souvent je pense au jour où la solitude m'entourera, cobra d'ombres et de silences. Je mettrais des chansons napolitaines, celle où l'enfant dit à sa mère qu'elle est bien la plus belle. Et l'ombre se retirera dans un coin, aveugle pour un moment. Tu seras encore là.

Et puis plus rien ne compte. Je ne sais pas faire la différence entre ce moi qui pleure quelque chose qui devait partir, et ce moi qui espère, se bat et planifie. Je te dis que le monde est un tissu d'injustices et de pourris, mais qu'il faudra bien qu'il me fasse une place quelque part, ce système de merde et d'or. Je te dis que je ne me laisserai pas faire et je prie pour que tu m'encourages parce qu'au-delà des mots au fond je ne sais plus quoi faire. On m'a déjà mangé un bras, puis la bouche, dis moi que je suis encore jeune, dis moi que je n'ai rien perdu, dis moi que j'ai connu assez. Hier dans la nuit je regardais ma paume et la ligne de vie est courte. Tu me dis que tu veux aller à Naples visiter les musées, et aujourd'hui va donc, allons! Mon cœur et toi, la Volkswagen neuve, je nous vois déjà. Nous roulerons vite et parlerons fort, toi tu riras.

Drapés d'inexistence

28 mars 2009 Comments Off

Au détour d'une rue, je t'aperçois. Tu es blanche et sale, étrange de douceur, petit bout de drap vivant. C'est toi, toi nouvelle, nous. Cette conjugaison d'errance et de stupeur.

On ne se regarde plus dans ces reflets de lumière pâle verdâtre, moi et mes autres en dedans. Il n'y a plus de chambre de bois sombre et de lumière éclose au fond de l'horizon, tout est parti dans la Peugeot 309 et même elle, ils vont la vendre. Ma Peugeot gris bleutée luisant rue Francis de Préssensé comme un petit bourgeon rosé. J'entendais ton moteur du sixième étage le dimanche à midi, et tu avais le coffre rempli de fruits, et puis il y a eu le temps où je ne mangeais rien, tu étais toujours là et quelque chose finissait de se fissurer et l'on ne voyait rien. On ne voit jamais l'enfance qui s'en va.

Et ce deuil à l'intérieur de moi, je croyais qu'il allait partir, comme cette vie secrète tout d'un coup partagée. Il n'y a plus de matins calmes à Saint Vincent ou dans ma banlieue parfaite, parce que c'était la perfection ma banlieue. Il y avait ces immeubles des années cinquantes et ces pavillons des retraités de la SNCF, l'impasse oubliée de la municipalité, ces femmes arabes tanguant sur le bitume, navires fatigués. C'était la perfection ma banlieue, le matin elle dormait encore sur un petit ciel gris, les voitures ne s'étiraient en bas de l'immeuble, je n'avais de bâtiment art moderne en face de mon lit. Pourtant j'en ai crée des alcôves, des idéaux, des retranchements dans ce nouvel appartement qui ne m'appartiendra jamais, comme je ne m'appartiendrai pas avant un long moment.

Au 50 rue du président Edouard Herriot, je n'ai pas de propriété. Pas même qu'au fond, si on enlève la peau, la chair molle et poreuse, les veines scoubidous bleus, je n'ai pas de propriété non plus. Tout s'est reformé à l'identique: les hanches, le ventre de nullipare et les seins, vagues poires. Et dans mon intérieur, un magma de désirs enterrés et de chappelles où brillent quelques chandelles quand d'autres sont grignotées par les rats. Je devais mettre de coté, pour une raison que j'ignore, la déraison, la folie et l'impulsivité, sans quoi la jeunesse n'était rien qu'un objet à détruire par dépit. Tout au fond j'ai toujours cette jouissance de la destruction, du fil défait, du tissu déchiré, de l'ongle rongé, et dans la destruction, l'impatience de donner à l'objet une finalité. Voilà ce qui manque quand on ne croit pas. Alors au 50 rue du président Edouard Herriot, non, je n'ai pas de propriété, et cette vie secrète, c'est la peluche froissée au fond du lit. C'est cette vie secrète, que j'étreins la nuit.

Elizabeth Inselvini, je n'ose plus lui parler. De toutes façon je ne me suis pas parlée à moi même, cette année. Il fallait bien un peu être aveugle pour se sauvegarder dans cette chasse sauvage de grands projets. Mon corps s'est dévalué, mais Elle, elle lui trouve une valeur auquelle je ne crois plus. Mon corps à la Bourse aux sous-marques, au grand discount, s'habille pour l'hiver. Il y a plus de miroir, il n'y a plus de chambre verte et de douleur sournoise au matin si lancinante. Je ne savais pas que c'était le début, que le tunnel était long, qu'il fallait rouler longtemps. Avec le recul, je n'aurais pas pu savoir, il valait mieux que je ne sache pas. Au final ce que je pleurais, c'est ce qui devais partir, absolument. L'enfance me disait qu'elle devait partir. Absolument. Nuages ou pas, elle avait des pneus neige, c'est moi qui lui les ai donné, à force d'instruction, de prise de conscience, de sexualité. Alors le deuil, il est là? Pourtant on est dans la Presqu'île, les quartiers chics et historiques, on est dans l'inéspéré: la cautérisation alimentaire, le partage, l'apprentissage de tout ce que seule je ne savais pas faire: vivre avec quelqu'un d'autre, sa chaleur, son froid. Et vivre avec moi-même, ça, il n'y pas si longtemps, je n'espérais pas.

Nous avons accroché des étoiles fluorescentes à l'alcôve bleu sombre. Je sais que je regretterai ces murs et ce plafond. Je sais que je suis née sans savoir aimer le présent, pour chercher à le détruire dans cet espoir occulte qu'il s'en aille plus vite, laisse place au monde de tous les possibles, me fasse tenter l'impossible. Et ce présent détruit revêt des habits noirs et se concentre. L'encre est là puis la main, le prolongement, le trait. Et que faire de ce deuil? Je croyais que tu étais parti et puis tu es là, plaie de tique plantée; je croyais qu'il allait partir mais j'ai une partie de moi enflée. Quelqu'un vient panser le difforme mais ça ne suffit pas: je fais des rêves où je suis obèse et où je me charcute parce que je préfère mourir que d'être grosse. Je fais des rêves où tu me laisses à un passeur pour une caisse de rouge. Je fais des rêves où la chambre verte est toujours là. Et même la chambre jaune, aux feuilles délicates. Même le bois de pastel clair, même le petit lit simple. Tout est là, la voix de ma mère, dans laquelle je reconnais à la fois le bruit des clefs, des talons, des chansons napolitaines.

Je me souviens, je disais "c'est étrange personne n'est mort et pourtant c'est tout comme." Puis au détour d'une rue, je t'aperçois. Petit reflet de draperie, de nappe de salon dans laquelle je me niche sous la table, prend un coin le frotte contre ma joue, m'endors. Quelque soit le tourbillon, aggriper le pied d'une chaise en merisier massif et se sentir hors d'atteinte. Les étoiles fluorescentes se sont décollées et ont échoué pour certaines sur un corps ou un couvre-lit, pressées de dire "ce n'est pas par ici l'avenir". Plus rien ne brille. Je suis désormais stagiaire dans une agence en crise, cette crue millénale d'euros dévalués, mon diplome ne vaut plus un kopek, et le printemps semble inaccessible. La ville centre m'enserre tellement que les saisons se ressemblent, toutes faites de béton et de grands magasins. Le soleil presque artificiel s'invite timidement dans le lit au petit matin. Seul moment de répit, ce silence précaire en début de semaine vers huit heures du matin.

Fin décembre une douleur sourde et inhabituelle a pris possession de mon coté gauche et je pissais du sang à trois heures du matin. C'était la veille du 31 décembre, il n'y avait pas un chat sur le pont lafayette quand je cherchais un médecin et pendant ce temps là une bacterie étrange mangeait doucement mon rein. Il y avait quelque chose de psychique dans cette douleur, au sens où elle était toujours là même quand je ne sentais plus rien. Elle laissait une impression de vide abyssal en bas du dos, de traces résiduelles d'épines et de peaux arachées, puis surtout ce grand trou, sensation de déséquilibre d'un bout à l'autre de ma cage thoracique. Je passais trois semaines de petite fièvre et de fatigue intense où le sommeil ne réalisait rien. C'est après l'infection, quand tout est parti, que je sentais l'écho. Elle me rappelait cette main dans la nuit déplaçant les aiguilles sur les poupées vaudous. Je sais maintenant qu'ici près des lombaires, ce niche ma stigmate de vie secrète, plaie jamais refermée. Il s'agit de l'ouvrir _fruit mur._, l'ouvrir, coque molle sur le papier.