Les Oliviers

1 février 2008 Comments Off

Pour guérir on peut devenir Saint Augustin, ou bien construire une maison de ces propres mains. Elle sera au fond de terre loin de la route centrale. Parfois des camions pétroliers roulent à toute vitesse et effraient les bergers. Ce sera l’antre minuscule du souvenir et de la transmission divine. En face, les montagnes, les plateaux qui cachent cette mer d’huile à des centaines de kilomètres. Ici, l’hiver gèle les cactus et la terre jaunie. Et le printemps verdoie d’un coup comme un corsage ouvert d’où jaillissent les jonquilles. Nous serons bien là bas. Il y aura un toit ouvert sur le ciel et le désert. S. disait qu’elle aurait voulu aimer quelqu’un ne serait-ce que pour penser à lui devant un tel assemblage divin. Elle demandait la nostalgie, j’en avais plein.

Tard dans la nuit je me souviens. Elle pleurait au petit matin, elle disait je t’aime, je t’aime, je t’aime et elle pleurait. Elle répétait encore. Je t’aime. Une fin de journée gelée de janvier elle me le murmurait à l’oreille, c’était la première fois. Je me souviens du rouge aux joues que j’ai imputé au froid et ce souffle si doux. Je t’aimais vraiment tu sais. Je sais, je sais, je sais. Je sais sans doute que je t’aime encore toujours comme tu m’as aimée.

Bientôt, nous sortirons du sommeil avec délicatesse, comme auparavant, je prendrais mon thé dans la cour intérieure et irait voir les chèvres. Nous irons cueillir des figues vertes dans le jardin, des pêches mures, et des poires minuscules, des amandes. Sur le terrain sont déjà plantés des oliviers, je me souviens d’un jour où nous avions grimpé une journée durant, enfants, pour aller s’asseoir contre leur tronc corseté. Le vieux grand-père a autorisé la construction et nous a légué cette terre, quoiqu’avec un peu d’avance, il est encore vivant. Sa silhouette de dos se rapproche de la mort. De dos seulement. Qui s’opposerait à un projet qui nous réuni à nouveau, comme jamais en vérité nous n’avons jamais été aussi proches. Revenir. Venir encore. Combien de nuits avons-nous passé sous les étoiles à dormir dans les tapis, à se quitter, se retrouver, reflets d’une sororité plus ou moins consanguine. Bientôt, on mangera du raisin sur le toit avec pour seule vue la nature, les ombres noires des chevaux et des ânes, les sillons creusés d’eau. Et ces dix mille soleils couchants, levants. Ces dix mille silences bénis où nous parlons à voix basse pour ne pas effrayer la nuit. Ce sera une maison en pierre cachée par des ficus biscornus, on l’appellera la Plaie. Au pas de la porte on laissera des lauriers roses, de la menthe fraiche et du genévrier. Derrière les persiennes qui osera nous sortir du monde, qui osera nous mettre à jour. Ote ce paravent, regarde. Assise dans la pénombre, la chambre est de bois et de lin blanc.

Lyon, qu’est-ce pour toi. Une terre de dons et de deuils, une terre d’amour fleuves dont les rives se quittent comme le bateau quittait Gènes dans le soleil d’août. Tu voulais profiter de la piscine d’eau salé sur le pont, tu ne savais pas que certains mourraient pour traverser cette frontière mouvante et floue, dangereusement plate, que l’on assimile au Léthé. Alors Lyon, pourquoi quitter. Les rues me sont si familières que les trottoirs inégaux caressent mes pieds. Il reste ce sentiment d’appartenance à un micro monde injustement dit de taille humaine _ en vérité seuls les étreintes et les bras de l’autre nous montrent tout à coup un espace de taille humaine. Tout le reste est immense, adulte, démesuré. Pourtant on s’en cache, on s’approprie des bouts d’espace, on les agrège on les défait. Jamais on ne va dire que ce n’est qu’une fois dans l’autre qu’on ne se sent plus ni trop petit, ni trop grand ni trop surfait. Jamais on ne va dire je me sens mal hors toi. Hors toi c’est quoi. Le bitume, le vide et le vent froid. Ca on ne se le dit pas.

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