Les Sordides

27 décembre 2007 Comments Off

Un jour. L'amour était tout près, bête tapie dans l’ombre. Ma robe trempait dans le lac, elle cherchait à lécher cet ourlet humide en rêve. Ma main pendait le long de mon corps, je n’avais pas conscience qu’on voulait l’attraper. La garder.

Le souvenir des étreintes passées m’apparaît comme une monstruosité étrange. Certaines parties du parc sont des fragments de douleur où la souffrance n'à d'égale que sa pureté odieusement chevaleresque. Le Moyen-âge est mort. La robe est souillée de terre et de fluides autant salés qu’amers.

Le Moyen-âge est mort je te dis.
Ne prie plus jamais les icônes, n’adore plus jamais quelqu’un d’autre que moi.
Ne prononce plus jamais mon nom.

J’ai aimé de façon religieuse et antique, comme si le sentiment protégeait. J’ai pris l’écriture pour celle qui faisait le miracle et gravé des incantations comme un fou au tombeau gratte les murs avec sa sangle. Le temps ne se métamorphose pas. Il nous auréole et s’en va. Ensuite il faut affronter cette solitude abrupte qui s'abat. N'ayez pas peur qu'elle vous brise les os. Elle vous leurre, alors vous croyez _ qui peut combattre ça ? _ Vous croyez donc. Et la foi est une grande faiblesse.

Je pensais m'être préparé à la fin d’un monde. J'avais décroché mes espoirs, un à un, de la voûte du ciel. A Kairouan trois mosquées chantaient leur appel. J’ai pensé avec véhémence: je ne crois plus ! Ni en Dieu ni en toi. Puis viens cette mélancolie universelle. Bien sur que je me suis mentie. Et quel amour, quelle fascination morbide. L’amour et la religion sont morbides. Il y a une part sombre, sexuelle et sanglante. L’épaule transpercée par une lance, les flèches pleuvant sur le martyre amoureux, les apôtres dévorés par les tigres, l’ongle qui s’enfonce au dos, les chairs excitées et rouges, ce sexe qui traverse, la crucifixion, la couronne d’épine, puis celle que l’on dépose aux pieds. Les fleurs que l’on offre pour se faire pardonner. Bien sur que j’ai aimé, avec ce dégoût face au corps qui verse et se déverse, horrifié de sa propre constitution, de son acharnement à chercher le plaisir. Horrifié de ne pas pouvoir arrêter de ressentir. Etonné de se voir continuer à aimer et souffrir, au point de vouloir tout anéantir.

Les saisons se sont tellement mélangé qu'un flou envahi l'eau. La brume rampe sur les dalles de l’île, on cherche à la dissiper d’une main morte en vain. C’est l’oubli peint sur la robe jetée au lac. Oui, cet enfant c'est moi, rejeté du lac à la mer, l'écume pendante aux lèvres. Je n’ai pas encore vécu, dit-elle. Mon corps est ce bavoir immense, mes seins n'existent plus. Puis en face. Sur la plage. Il y a ce jumeau dont les pupilles brillent d'un éclat d'or pur au regard vide. Sa richesse est à d’autres, ou à lui-même, il ne donne ni montre cette fortune secrète sous ses cils de soie. Assis sur un rocher le vent bat ses cheveux. Je me souviens très bien de leur finesse étrange. Ce corps était refuge. On l’atteint par un escalier étroit, une porte dérobée. Un violoncelle est au milieu, personne ne joue. Il attend celui qui saura manier l’archet depuis des années. Les os de poignets de ceux qui se sont trompés gisent au sol. Une enfant au bord de l'âge adulte, pâle et dégingandée, est dos contre le mur. Dans ce temple des oubliés, être clos c’est être ouvert au monde. Il n’y avait ni nature, ni immensité. Un roi fainéant gisait sur son trône, au fond, près d'une cheminée. C'était l'automne, on le devinait. La pièce se teignait d'ocre et d'incarnat. Il n’y avait plus aucune cime où grimper, aucun sommet pour croire. Aucun dieu de montagne à prier.

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